"Le changement climatique à l’échelle planétaire et ses répercussions aux échelles locales n’ont pas seulement des effets sur la température moyenne de l’air et de l’eau, ou sur la fréquence et l’intensité des évènements météorologiques remarquables. Tous ces paramètres peuvent influencer les aires de répartition de nombreuses espèces animales et végétales. Il est possible, par exemple, de voir proliférer sous des latitudes tempérées des organismes parasites ou toxiques qui étaient en limite de leurs aires de répartition. C’est le cas de certaines espèces de dinoflagellés benthiques du genre Ostreopsis dont le développement est généralement limité aux zones tropicales et qui ont été inventoriées récemment en Méditerranée, en Nouvelle-Zélande, en Tasmanie et en Australie, dans plusieurs îles japonaises et dans l’est de la Russie. Trois espèces du genre Ostreopsis sont présentes depuis plusieurs dizaines d’années en Méditerranée, mais leurs proliférations, impliquant des effets néfastes aux niveaux écologiques, sanitaires et socio-économiques, sont beaucoup plus récentes et limitées pour l’instant au bassin occidental et à l’Adriatique. En France, seule l’espèce Ostreopsis cf. ovata a pour l’instant été caractérisée. Cette espèce est régulièrement observée dans les eaux côtières du nord-ouest de la Méditerranée, où le développement d’efflorescences récurrentes fait l’objet de différents suivis de type « système d’alerte ». Du point de vue de sa distribution le long des côtes françaises, O. cf. ovata montre une large aire de répartition en Méditerranée. Cependant, de récentes identifications, faites dans la cadre du programme REPHY d’observation et surveillance du phytoplancton, ont détecté la présence du genre Ostreopsis le long d’une autre façade maritime, près de Saint-Jean-de-Luz, dans les Pyrénées-Atlantiques. Ces observations témoigne de la présence de ce dinoflagellé toxique dans les eaux atlantiques françaises et suggère que son aire de répartition est encore très mal connue et sous-estimée.
La plasticité physiologique des dinoflagellés marins est à la base du potentiel d’expansion de leur niche écologique spatio-temporelle. Grace à leur capacité à croitre dans de larges gammes de température, de lumière et de concentrations de sels nutritifs, certaines espèces peuvent s’installer dans plusieurs écosystèmes. Il est aussi possible qu’ils puissent occuper et s’adapter à la vie dans de nouveaux habitats suite à l’introduction de populations pionnières. L’adaptabilité physiologique des souches des populations pionnières aux caractéristiques environnementales des nouveaux écosystèmes rencontrés peut être étudiée par des approches d’écophysiologie. La comparaison des capacités adaptatives entre souches pionnières, isolées dans des écosystèmes qui ont été récemment occupés (par exemple au niveau des côtes atlantiques françaises), et des souches isolées dans des écosystèmes auxquels l’espèce est déjà bien adaptée (comme en Méditerranée) pourrait révéler l’existence d’écotypes différents. La comparaison entres les génotypes de ces souches et celles d’autres régions du monde pourrait aussi permettre d’envisager l’origine possible des souches pionnières.
Dans les régions tropicales, le genre Ostreopsis est soupçonné d’être à l’origine d’intoxications alimentaires sévères dues à l’accumulation de la palytoxine et de ses dérivés dans des crabes, des oursins ou des poissons. La forte toxicité de la palytoxine chez les mammifères en fait une des substances d’origine marine les plus toxiques connues. En Méditerranée, des intoxications alimentaires impliquant la palytoxine ou ses dérivés n’ont pas encore été démontrées, même si la présence de toxines a été constatée dans des animaux marins (mollusques, échinodermes, poissons). Par contre, des intoxications par contact direct avec l’algue et/ou les toxines sont possibles. Les espèces du genre Ostreopsis se développent préférentiellement à très faible profondeur, sur d’autres végétaux (macroalgues ou phanérogames) ou directement sur le substrat abiotique. Lorsque les conditions sont favorables (période estivale), ces microalgues peuvent proliférer et se retrouver en suspension dans l’eau, formant parfois des agrégats relativement importants. Ces microalgues (et/ou les toxines) peuvent également se retrouver dans les embruns et les aérosols. En cas de fortes abondances, les conséquences peuvent être néfastes, aussi bien pour la santé humaine que pour l’écosystème. Les conditions deviennent hypoxiques, voir anoxiques, avec des mortalités massives d’invertébrés déjà observées en Nouvelle-Zélande, au Brésil et en Méditerranée. Au niveau de la santé humaine, les réactions sont diverses : irritations cutanées, affections respiratoires, conjonctivites, fièvre et plus rarement détresse respiratoire. Même les personnes n’étant pas en contact direct avec l’eau de mer peuvent être atteintes (en particulier les vacanciers sur les plages ou les routes, dans les restaurants ou dans les habitations). A Gênes, durant l’été 2005, plusieurs centaines de personnes ont ressenti ces différents symptômes et plusieurs dizaines d’entre elles ont été hospitalisées durant plusieurs jours. Les plages atteintes ont été interdites au public pendant plus d’une semaine, en plein été, avec des conséquences économiques certaines. En Espagne, plusieurs habitants d’un immeuble situé en bordure de plage ont été intoxiqués. Concernant les efflorescences d’Ostreopsis le long des côtes françaises, le profil toxinique de différentes souches méditerranéennes a déjà été caractérisé. A l’inverse, le potentiel toxigénique de souches d’Ostreopsis provenant des côtes atlantiques n’a pas encore été analysé. Son étude pourrait contribuer à la caractérisation d’écotypes présents le long
de la façade atlantique. Elle pourrait aussi mettre en évidence de nouveaux risques toxiques liés au développement d’Ostreopsis dans des zones côtières encore considérées comme non-impactées par les dinoflagellés toxiques benthiques."