Effet d’une espèce ingénieur sur la diversité et le fonctionnement des communautés benthiques : l’habitat récifal à Sabellaria alveolata

 

Thèse d'Auriane Jones (Université Bretagne-Loire) soutenue le 14/12/2017

Encadrants: Stanislas Dubois, Nicolas Desroy et Jérôme Fournier

 

L’objectif de ce travail de thèse était de comprendre (1) l’impact d’un ingénieur structural de l’écosystème sur la diversité et le fonctionnement des communautés benthiques et (2) l’impact de perturbations sur le fonctionnement de l’habitat construit par l’espèce ingénieur.Pour y répondre, nous avons considéré l’habitat récifal construit par le polychète grégaire Sabellaria alveolata comme cas d’étude, et plus particulièrement, le récif de Sainte-Anne, localisé en Baie du Mont-Saint-Michel(Bretagne, France). Une zone caractérisée par des sédiments meubles (sable fin à vaseux), éloignée de1.5km et localisée sur le même niveau bathymétrique que le récif de Sainte-Anne a représenté le site contrôle, non influencé par l’espèce ingénieur.

 

Dans un premier temps, cet ingénieur physique de l’écosystème induit une profonde modification structurale puisqu’elle transforme un sédiment meuble en une structure tridimensionnelle dure et élevée relative au substrat initial. L’étude préliminaire a révélé que la présence d’un récif à S. alveolata augmente le stock de biomasse chlorophyllienne (e.g. microphytobenthos) présent localement dans le sédiment meuble ainsi que la richesse spécifique et l’abondance de macrofaune présente dans les structures biogéniques, formant un assemblage original d’espèces. La modification des conditions environnementales locales induites par ces structures biogéniques (granulométrie et contenu en matière organique) influence également la mise en place d’un assemblage faunistique particulier aux sédiments meubles sous leur influence directe. L’habitat récifal apparait comme un point chaud de biodiversité.

 

Par ailleurs, l’implantation de S. alveolata a des conséquences fonctionnelles importantes en termes de structure du réseau trophique et d’interactions alimentaires, estimées grâce aux isotopes stables du carbone et de l’azote. En effet, cet ingénieur de l’écosystème augmente le pool local de ressources alimentaires (macroalgues, microalgues et tapis bactérien)par des changements structuraux, abiotiques et biotiques. Ces ressources alimentaires locales sont consommées dans les structures biogéniques par de nombreuses espèces aux régimes alimentaires spécialisés, à la différence des sédiments meubles avoisinants où ces ressources alimentaires sont consommées par quelques espèces généralistes. De manière générale, S. alveolata conduit à une augmentation de la niche trophique des communautés benthiques(aire totale et ellipse standard)et du couplage benthique-pélagique à travers la forte abondance d’espèces suspensivores associées(e.g.Magallana gigas, Mytilus cf.galloprovincialis). En même temps, la compétition trophique potentielle entre l’ingénieur et les autres consommateurs primaires est très limitée comme révélée par des modèles de mélange.

 

De plus, le cycle de la matière organique et des nutriments (flux biogéochimiques) est favorisé par l’installation de S. alveolata, un effet positif principalement lié à l’espèce ingénieur elle-même qui structure linéairement les flux mesurés (e.g.demande en oxygène). Néanmoins, un niveau de diversité fonctionnelle intermédiaire, mesuré par la dispersion fonctionnelle, maximise le fonctionnement  biogéochimique, soulignant l’influence positive que les espèces associées peuvent avoir sur le fonctionnement du récif via leurs traits biologiques.

 

Finalement, le long d’un gradient de perturbation, j’ai observé un remplacement de la macrofaune associée et une augmentation de son abondance ainsi que son homogénéisation. Au niveau du fonctionnement du récif, l’utilisation des ressources trophiques (niche isotopique) et le fonctionnement biogéochimique global sont tous les deux maximaux pour un niveau de perturbation intermédiaire du récif, estimé par la densité de S. alveolata adulte. De manière générale, nos résultats révèlent l’importance de (1) la facilitation (i.e.interactions spécifiques positives) dans le fonctionnement de cet habitat ingénieuré, (2) limiter les activités anthropiques qui perturbent les structures biogéniques et (3) considérer ces structures en association avec les sédiments meubles adjacents au sein d’une définition élargie de ce qu’est un récif. Enfin, ce travail indique un effet global positif de S. alveolata sur tous les flux et fonctions mesurés, et l’utilisation d’un gradient de perturbations pointe vers un nouvel objectif de conservation pour ces habitats ingénieurés où leur capacité de résilience pourrait être optimale.

 

Financement:  Ifremr, Région Bretagne, LabexMer, EC2CO